• Qu’est-ce que l’adultisme ?

Je me souviens de la Aurane enfant. Je me souviens de la vie à cette époque, certes pas de tout. Je me souviens des adultes, de leur manière de me percevoir, de leur manière de me considérer. Petite déjà, j’avais remarqué qu’iels projetaient beaucoup de choses sur moi. Les adultes partaient du principe que je fonctionnais comme ci et comme ça, iels m’infantilisaient et me pensaient moins lucide que je ne l’étais. Le mot infantiliser peut sembler ridicule utilisé ainsi car oui, j’étais bien une enfant – pourtant c’est cela que je ressentais : on me déconsidérait régulièrement, on m’infantilisait. Comme si je n’étais pas capable de comprendre. Comme si je n’avais pas mon propre univers psychique, mes propres idées.

Je me souviens avoir observé cette mésestime de nombreuses fois. Quelle désagréable sensation que celle-ci. Je me rappelle aussi m’être souvent demandée : les adultes sont-ils tou.te.s si aveugles ? Est-ce cela, être un.e adulte ? Il y a tant de choses qu’iels ne connaissent pas, pourtant iels agissent comme s’iels savaient tout sur tout, et tout bien mieux que moi, même lorsqu’un sujet me concernait directement. Aujourd’hui, je sais que ce phénomène porte le nom d’adultisme. L’adultisme, en résumé, ce sont toutes ces façons qu’ont les adultes d’accorder à un.e enfant moins de respect, moins de considération, moins d’importance qu’à un.e adulte ; en présumant parfois de choses totalement erronées à son sujet, par exemple. En niant sa réalité, son ressenti, sa propre expérience de la vie et du monde, aussi.

 

Enfant, je le suis encore un peu. J’espère qu’une part de moi le restera toujours, d’ailleurs. Cependant, enfant déjà, j’ai été plus lucide qu’on ne voulait bien l’admettre.

Et j’ai vite compris. Lorsque je manifestais un mécontentement, on disait de moi que je me plaignais ou que je faisais un “caprice”. Taxer une personne de capricieuse ou l’accuser de se victimiser car on ne sait ni la comprendre ni l’écouter, c’est classique malheureusement et c’est un comportement qu’on retrouve régulièrement chez de nombreuses personnes adultes, qui réagissent ainsi lorsque quelqu’un leur fait part d’un vécu traumatique ou d’une oppression subie. Cette incapacité de rentrer en empathie, présente chez de nombreux humains, pourrait-elle trouver sa source dans l’enfance et dans les modèles de normalité qui nous sont imposés depuis petit.e ?

Je me souviens que mes émotions étaient étiquetées et rangées dans des cases pour justifier leur présence. Des cases que je n’avais pas choisies. On regardait ma personne à travers ce qui me semblait être une notice pré-fabriquée, comme si nous, les enfants, n’avions pas d’individualité. Comme si nous formions un même groupe, “les enfants”, avec les mêmes codes, la même compréhension de la vie, les mêmes fonctionnements. Mais c’était faux, j’avais ma propre lecture du monde qui m’entourait. J’étais déjà très sensible, pleine de réflexions et de questionnements.

J’ai vite compris, oui. J’étais enfant donc pour elleux j’étais “moins”, pas assez savante, pas apte à comprendre. “Tu comprendras quand tu seras plus grande”. “Tu obéis sans poser de questions, c’est moi la prof/le parent/qui décide”. Aujourd’hui je comprends mieux, c’est vrai, que les adultes sont imparfait.e.s, évidemment, et que je le suis et l’étais aussi… Mais aussi que la réalité de l’adulte n’est pas plus réelle que celle de l’enfant quand il la vit.

J’ai vite compris que j’aurais forcément tort face à un adulte, que même en cas d’injustice c’était moi que l’on remettrait en question, et que la mauvaise foi s’habillait parfois d’autorité pour sembler légitime. J’avais pourtant, déjà, une voix à moi, des pensées à moi, ma propre manière de voir le monde et de ressentir.

J’ai vite compris, aussi, que je ne rentrais pas dans le moule que la société avait fabriqué pour moi. J’étais ce que l’on appelle un “garçon manqué”. Pourquoi ? Parce que je préférais escalader et grimper aux arbres au lieu de jouer à la poupée ? Parce que je rentrais couverte de bleus ? Parce que j’étais plus intéressée par les combats d’épée que par les dînettes ? Quelle horreur cette expression, et quelle absurdité surtout. Dès enfant, alors que tu ne fais que suivre tes envies, on te signifie que tu as loupé le coche. “Ce n’est pas ce qu’est sensée faire une petite fille”. Ah bon ? En quoi mon genre est-il sensé définir mes centres d’intérêt ? Le problème vient en fait de l’éducation genrée, mais passons.

J’ai vite compris que, puisque je ne suivais pas le mouvement, puisque je m’exprimais face aux choses qui me semblaient absurdes, injustes ou illogiques, j’étais vue comme “la petite râleuse”, la forte tête qui veut toujours “avoir le dernier mot”. C’est bien connu, un enfant qui relève une incohérence n’est jamais pertinent. Je n’avais pas voie au chapitre. Si je pointais du doigt un comportement problématique chez un.e adulte, j’exagérais sûrement. L’adulte était (est ?) roi. Et dire que l’on a peur de créer des enfants rois, dans une société pourtant et encore si violente à leur égard.

J’ai observé que les adultes n’avaient pas le droit de se battre, mais qu’on pouvait me frapper moi. Que les adultes nous enseignaient que l’on n’avait pas le droit de mentir mais qu’à nous, iels mentaient, parfois fièrement. Que les adultes pouvaient dire des gros mots, mais que pour nous c’était proscrit. Que les adultes pouvaient tout choisir : leurs tenues, leurs lectures, leurs activités, mais pas moi, pas nous. Je ne l’ai jamais complètement compris ni accepté.


La question se pose, alors : les adultes ont-iels oublié ce que c’est, d’être un.e enfant ? Ont-iels oublié ce que ça fait, de contenir un univers en soi sans avoir nécessairement tous les mots pour l’exprimer clairement, de ne pas être considéré.e par les plus grand.e.s, de ne pas avoir les moyens de se défendre face à cela ? Moi je m’en souviens et j’espère ne jamais l’oublier, même à 30 ans, même à 40 ans et plus tard, encore.

Être enfant, aujourd’hui encore, signifie bien trop souvent être privé.e de son individualité. Ne pas être écouté.e car “on est trop jeune”. Alors oui, il y a évidemment des limites à tout. Bien sûr, ces remises en perspective sont à prendre avec raison – il n’est pas question d’autoriser les enfants à sortir en culotte en plein hiver au risque qu’iels attrapent une pneumonie, de les laisser jouer avec des objets dangereux juste car c’est leur souhait, de ne leur servir que des frites durant une semaine car c’est là leur désir… Il y a des interdits absolus qui concernent la santé physique et mentale de l’enfant, et c’est à l’adulte de savoir faire la part des choses entre l’interdit nécessaire et l’interdit conventionnel et aliénant. Il y a tout de même une grande différence entre des règles indispensables et cette déconsidération insidieuse et si dommageable pour la construction de l’identité et de l’estime de soi.

En tant que société, il me semble terriblement important que nous nous questionnions sur ce sujet, encore trop peu abordé mais si nécessaire. Accorder aux enfants plus de considération, plus d’écoute, c’est aussi leur donner l’opportunité de devenir des adultes plus bienveillant.e.s et plus aptes à évoluer sereinement dans les diverses sphères de leur vie.

 

Les enfants sont aussi des personnes, des individus conscients.
Considérons-les.

 

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Quelques exemples d’adultisme : forcer un.e enfant à faire un bisou (ne pas respecter son consentement). Parler d’un.e enfant en des termes rabaissants ou péjoratifs devant lui/elle, comme s’iel n’était pas là. L’exclure d’une conversation en parlant dans une autre langue pour qu’iel ne comprenne pas. Frapper un.e enfant (et trouver cela normal)… Etc. Malheureusement la liste est longue. 😣 Pensez à ces situations et mettez un.e adulte à la place de l’enfant, vous comprendrez alors à quel point c’est choquant.

Je sais que c’est un sujet clivant (et culpabilisant pour certain.e.s), pourtant il faut bien l’aborder. Hier j’ai décidé de faire une story sondage/questionnaire pour connaître le vécu des personnes qui composent ma communauté à ce sujet. Les réponses et mp reçus montrent qu’il y a bien un problème, complètement banalisé, qui en dit long sur notre manière de faire société… 🧐 Si ce texte ne devait avoir qu’un but, ce serait de rappeler qu’un.e enfant est un monde à lui/elle tout.e seul.e, que chaque enfant est unique et qu’il convient de les considérer vraiment. Que la violence n’est pas plus légitime face à un.e enfant et que toutes ces violences mises bout à bout peuvent avoir un réel impact sur la construction d’un être humain.

 

Je me suis inspirée de mon propre vécu et de ce que j’ai lu pour écrire ce post. Voici quelques ressources pour aller plus loin :
– Le compte Instagram de @solineseveiller et ses divers posts (les étiquettes, les VEO, le consentement)…
– Le compte Instagram et le dernier post de @papatriarcat
– Le compte Instagram de @fannyvella et ses dessins tous très parlants
– Le compte Instagram et le post sur l’adultisme de @deconstruction.pedocriminalite
Et sur les conseils de Maelys du compte Instagram et du blog @fine.plume en qui j’ai confiance pour me recommander des pépites sur le thème de l’éducation bienveillante, une liste de livres :
– “Au coeur des émotions de l’enfant”, “J’ai tout essayé” et “Il me cherche” de Isabelle Filliozat
– “Parents bienveillants, enfants éveillés” de Laurence Dudeck
– “Pour une enfance heureuse” de Catherine Gueguen
– “Serre-moi fort” de Carlos Gonzales

 

Voilà, j’espère que vous en aurez appris un plus sur l’adultisme avec cet article.
Prenez soin de vous, et merci de m’avoir lue !

Love and good vibes,

– Aurane