Ah, ce fameux sentiment de décalage…

Il peut être ressenti par de nombreuses personnes dans des circonstances diverses et n’est pas l’apanage des êtres hypersensibles, mais dans ce post je vais m’intéresser exclusivement à nous, les êtres hautement sensibles. N’oublions pas, cependant, que ce sentiment peut être vécu par toute personne dans un milieu dans lequel elle diffère de la majorité ou de ce qui est perçue comme étant “la norme” (exemple : une femme dans une assemblée d’hommes, une personne de couleur dans un groupe de blanc.he.s, etc).

Le manque de représentation, on le sait, joue beaucoup sur l’estime de soi, sur le fait de se sentir intégré.e ou non et sur le sentiment de légitimité… L’humain reste un être social et nous avons pour la plupart un besoin naturel de nous sentir “appartenir” à un groupe. J’ai tendance à penser que même les plus singulier.e.s d’entre nous ressentent ce besoin d’appartenance et de validation de temps à autre, même si nous nous arrangeons avec ces derniers chacun.e à notre manière. Certaines personnes se fondent entièrement dans le groupe, d’autres n’y arrivent pas, d’autres encore aimeraient mais ne savent pas comment, d’autres y ont presque complètement renoncé, etc. Ces besoins, qu’ils se manifestent que de manière occasionnelle ou constante, restent inhérents à l’être humain. On peut d’ailleurs les corréler au besoin de reconnaissance. Nous en faisons un tabou, comme s’il était honteux d’avouer que nous apprécions d’être validé.e par nos pair.e.s, alors qu‘il est tout à fait normal d’avoir besoin que notre travail soit respecté par exemple, tout comme il est naturel d’avoir envie que nos sentiments soient reconnus et acceptés. Le “chacun.e pour soi, je suis arrivé.e ici tout.e seul.e, je suis détaché.e et je n’ai pas besoin des autres” ça peut faire costaud sur le papier, mais dans les faits ça ne fonctionne pas.

Nous, les personnes hautement sensibles, en sommes cruellement conscient.e.s en général. Pourquoi ? Car nous sommes nombreuxses à savoir ce que ça fait, de manquer de cette validation et de ce sentiment d’appartenance justement. Nous évoluons dans un monde pensé et conçu pour des personnes moins sensibles que nous. Je grossis volontairement les traits de mon discours car, évidemment, il y a autant de sensibilités qu’il y a d’individus, néanmoins nous savons aujourd’hui qu’il y a une portion de personnes bien plus sensibles que la moyenne : les hypersensibles. Certain.e.s disent que nous représentons 15% de la population, d’autres parlent de 20%, d’autres encore de 25%… Quoiqu’il en soit, nous sommes minoritaires. Ce monde n’a clairement pas été pensé et construit sur le mode de fonctionnement de la haute sensibilité, donc forcément parfois, nous avons du mal à nous y retrouver.

Qu’il s’agisse de haute sensibilité émotionnelle ou de sensorielle (ou d’un savant mélange des deux), nous ne sommes pas bien adaptés au rythme imposé par ce système capitaliste, productiviste et matérialiste. Grandir au sein d’une société qui met en avant la productivité à tout prix et évalue plus les individus sur leur capacité à se montrer performant.e que sur leur humanité, ça a de quoi nous déboussoler (et nous faire frémir ). Si tant de personnes adoptent aisément ces règles, ce n’est pas le cas de tou.te.s. En plus de ces codes qui ne nous correspondent pas, nous avons aussi un fonctionnement différent dans nos manières de vivre et de ressentir nos émotions (voir mon article : les caractéristiques de l’hypersensibilité). Les émotions fortes, intenses, sont peu tolérées et comprises par la société.

 

C’est pourquoi les besoins naturels d’appartenance, de validation et de
reconnaissance 
sont chez nous rarement comblés. Cela explique à mon sens
notre sentiment de décalage, si présent en situation de sociabilité, généralement.

 

Nous nous sentons trop peu compris.es, notre besoin de validation est donc rarement satisfait. En effet, comment valider nos ressentis auprès de personnes qui ne nous comprennent pas ou ne nous approuvent pas ? “Tu te victimises”, “tu te prends trop la tête”, “tu exagères”. Toutes ces phrases montrent à quel point notre fonctionnement peut sembler hors-normes à d’autres et parfois même à nos proches. Pour nous sentir validé.e.s, nous avons besoin que la personne en face de nous puisse nous comprendre, entrer en empathie avec nous et nous accepter tel.le.s que nous sommes, sans critiquer le fait que l’on ne corresponde pas à “la norme”. Si, au contraire, nous avons essuyé plusieurs fois le rejet, si nous avons souvent été confronté.es à de l’incompréhension au cours de nos vies lorsque nous étions nous-mêmes, nous avons sûrement conclu qu’il était plus pertinent de cacher notre sensibilité. Parfois, cela peut nous mener à jouer un rôle, à essayer d’être autre chose que ce que nous sommes vraiment, pour nous conformer. Comment ne pas ressentir ce décalage lorsque l’on n’est pas authentique, et comment l’être si on ne se sent pas libre d’être soi-même, si on n’est pas accepté.e pour ce que l’on est ?

Nous ne sommes que peu représenté.e.s dans la société puisque nous sommes minoritaires, et quand nous le sommes, c’est plutôt négativement. En France par exemple, le terme “hypersensible” est encore connoté péjorativement et utilisé pour décrire une personne “capricieuse” ou “susceptible”. La haute sensibilité est pourtant bien plus vaste et complexe que cela. Notre sentiment d’appartenance a donc du mal à se créer, nous sommes en manque de “personnes qui nous ressemblent”. C’est pourquoi je crois que nous sommes nombreuxses sur les réseaux sociaux, qui représentent un moyen de nous connecter les un.e.s aux autres aisément et sans risquer de rejet trop violent lorsque l’on s’expose (sauf si on est une personne publique, là c’est encore une autre histoire…).

Et enfin, l’hypersensibilité n’étant évidemment pas (qu’)une manière d’être plus susceptible, on peut aussi constater que les qualités inhérentes à la haute sensibilité sont trop peu reconnues et valorisées. La créativité, l’empathie, le fait de pouvoir se connecter profondément au monde, aux êtres, l’indignation naturelle face à l’injustice, la faculté de se remettre en question, la sincérité, la capacité d’émerveillement… Tous ces atouts précieux ne sont pas assez mis en avant dans notre société, et quel dommage. Nous vivons dans un système qui place l’économie avant l’humain, donc nos qualités humaines, au lieu d’être encouragées, passent parfois pour des signes de faiblesse ou de fragilité. Elles apportent plus au capital humain qu’au capital économique en général, c’est vrai, pourtant elles sont si nécessaires. Un système laissant un peu plus de place à la douceur et aux valeurs du cœur aurait plus de chances de perdurer et d’être vertueux, je crois, mais c’est un autre sujet. Quoiqu’il en soit, beaucoup d’entre nous, hypersensibles, manquons ou avons pu manquer d’une vraie reconnaissance de ce que nous sommes profondément. Parfois depuis longtemps.

Un conseil pour mieux s’en sortir face à ces manques qui, je le sais, peuvent blesser terriblement et aller jusqu’à créer un vide identitaire, c’est de s’apporter tout cela à soi-même (voir mon article sur le self love). Je ne vais pas dire que c’est toujours suffisant, mais ça aide beaucoup et pour certain.e.s d’entre nous, cela peut suffire. En revanche si la blessure est trop grande ou si vous n’avez pas envie d’y faire face seul.e, n’oubliez pas que vous pouvez vous faire aider par des professionnel.le.s de la santé mentale/émotionnelle, aussi. Ce n’est ni une honte ni une faiblesse. Bien au contraire, c’est très brave de faire face à une situation complexe en essayant de mettre toutes les chances de son côté pour aller mieux.

Selon moi, ce n’est pas notre singularité en elle-même qui crée le sentiment de décalage mais plutôt la manière qu’a la société de traiter tout ce qui diffère de la “norme”, créant du même coup des fossés entre les gens… Si l’on vous accepte et vous encourage à être tel.le que vous êtes dès petit.e, vous vivrez votre singularité d’une toute autre manière. C’est pourquoi ce sentiment de décalage est plus ou moins important en fonction du vécu personnel de la personne hautement sensible. Vous avez peut-être eu un entourage compréhensif ou composé d’autres personnes hautement sensibles, vous avez peut-être trouvé un groupe d’amis au sein duquel vous pouvez être complètement vous-même. Peut-être exercez-vous un des métiers dans lequel vos qualités et votre empathie sont nécessaires et appréciés. Peut-être vous apportez-vous beaucoup de self love, peut-être avez-vous construit et cultivé une grande confiance en vous-même au fur et à mesure du temps. Tout cela pourrait rendre ce sentiment inexistant, ou presque.

Si vous n’avez rien de tout ceci, pas de panique surtout. Cela ne veut pas dire que vous ne serez jamais serein.e.s ni à l’aise en société. Il n’est pas indispensable de cocher toutes ces cases pour être bien avec soi-même et avec les autres, en fait. Le plus important c’est peut-être d’abord d’accepter soi-même cette singularité, de ne pas se forcer à devenir quelqu’un d’autre pour se conformer aux attentes d’une société qui ne nous ressemble pas forcément, pas entièrement. Si l’on ne fait pas cet effort consciemment, nous pourrons être amené.e.s à nous créer ce qu’on appelle un “faux self” (je reviendrai sur cette notion dans un autre post). Et, par expérience, ce faux self nous dessert plus qu’autre chose sur le long terme.

Quoiqu’il en soit, ce sentiment de décalage est normal lorsqu’on fait partie d’une minorité quelconque. Si vous vous sentez décalé.e parfois, non, vous n’avez pas un “problème”, et non, vous ne vous “victimisez” pas non plus. Ce sentiment peut se manifester tout au long de la vie ou survenir par phases, à des instants précis ou plus quotidiennement. De mon côté il se pointe souvent lorsque je suis en situation de sociabilité. Dans ces moments, je me rends bien compte du fait que mes idées, mes ressentis, mon comportement et mes valeurs sont en décalage par rapport à ceux des individus qui m’entourent – que ce soient des personnes que je connais peu ou très bien. Cependant je connais aussi des êtres très empathiques et hautement sensibles, qui comprennent ma sensibilité et avec lesquels je peux parler ouvertement. Qu’est-ce que ça fait du bien, d’ailleurs (si vous passez par là : ).

Que vous connaissiez déjà ces êtres ou non, sachez que vous n’êtes pas seul.e.s dans cette différence. Comme je l’ai dit précédemment, c’est sûrement pour cela que nombre d’entre nous sommes présent.e.s sur les réseaux. Quelque part nous cherchons nos semblables, nous cherchons une communauté composée de personnes qui nous ressemblent. Et je crois que nous y parvenons, parfois.

Peu importe le décalage, n’oubliez jamais que votre sensibilité est aussi une force, un pouvoir, un CADEAU. Alors merci d’être sensible, que vous le soyez secrètement ou manifestement, que vous ayez déjà appris à vivre sereinement avec votre sensibilité ou non, merci, car ce monde a tant besoin de plus de sensibilité et d’empathie, et parce qu’alors très certainement, il a besoin de vous


« SENSITIVITY IS THE NEW COOL. »  

 

Prenez soin de vous, et merci de m’avoir lue !
Love and good vibes,

– Aurane